A. Klyosov vient de publier un article intitulé : Re-Examining the “Out of Africa” Theory and the Origin of Europeoids (Caucasoids) in Light of DNA Genealogy . Ce titre et ce qui concerne la branche supposée Caucasoid n'est pas ce qu'il y a de mieux dans cet article dont je vais souligner les points qui me paraissent discutables pour mieux montrer en quoi c'est la première démonstration d'une histoire en (au moins) 2 étapes, au lieu de la sortie d'Afrique de M168, acceptée jusqu' alors.
Son article prend le parti pris d'une approche par les haplotypes, en concentrant l'étude sur 22 marqueurs STR dont les taux de mutations sont particulièrement faibles. En l'occurrence pour l'ensemble des 22 marqueurs, selon l'estimation de A. Klyosov, on attend, en moyenne une mutation tous les 4250 ans. Ainsi, pour être clair, si on imagine un groupe dont l'ancêtre aurait vécu il y a 4250 ans et ayant aujourd'hui une nombreuse descendance par les hommes ces descendants auront, en moyenne, un seul des 22 marqueurs modifié ; le marqueur n'étant pas nécessairement le même pour chaque descendant.
Avant de se concentrer sur ces 22 marqueurs, Klyosov étudie la phylogénie de l'haplogroupe A en utilisant le logiciel PHYLIP pour rechercher des groupements d'haplotypes. PHYLIP compare 2 à 2 les haplotypes et recherche les groupements qui minimisent la distance entre haplotypes. Il faut bien comprendre qu'à ce stade il n'est pas question des 22 marqueurs mais des 32 marqueurs de SGMF une base de données publiques. Il identifie 4 groupes. Quand il a fallu passer aux 22 marqueurs Klyosov n'a disposé que de peu d'haplotypes ; pour l'un des groupes il n'y a eu qu'un seul haplotype. Il s'agit donc d'une étude pionnière.
Voici maintenant les résultats des 4 groupes pour chaque marqueur :
DYS426 : 12 – 12 – 13 – 12 ----------------> 12
DYS388 : 11 – 10 – 11 – 13 -----------------> 11
DYS392 : 11 – 11 – 12 – 10 -----------------> 11
DYS455 : 9 – 7 – 10 – 10 -----------------> 9
DYS454 : 11 – 13 – 11 – 11 ------------------> 11
DYS438 : 10 – 8 – 16 – 10 ------------------> 10
DYS531 : 10 – 10 – 10 – 11 ------------------> 10
DYS578 : 9 – 8 – 9 – 8 ------------------> 8 (?)
395S1a : 12 – 15 – 14 – 15 ------------------> 14
395S1b : 12 – 17 – 14 – 15 ------------------> 15
DYS590 : 7 – 6 – 8 – 8 ------------------> 7
DYS641 : 10 – 10 – 8 – 9 ------------------> 10
DYS472 : 8 – 9 – 8 – 8 ------------------> 8
DYS425 : null – 12 – 9 – null -----------------> 12 (?)
DYS594 : 13 – 13 – 12 – 10 ------------------> 13
DYS436 : 11 – 11 – 11 – 9 -------------------> 11
DYS490 : 16 – 16 – 12 – 14 -------------------> 16 (?)
DYS450 : 10 – 8 – 8 – 8 -------------------> 8
DYS617 : 14 – 13 – 12 – 12 -------------------> 13
DYS568 : 9 – 11 – 12 - 8 --------------------> 9 (?)
DYS640 : 11 – 11 – 11 – 11 -------------------> 11
DYS492 : 11 – 12 – 11 – 12 -------------------> 12 (?)
La dernière colonne montre la valeur utilisée par klyosov comme moyenne des 4 groupes.
Pour dater l'haplogroupe A Klyosov utilise une méthode quadratique qui a l'avantage de ne pas nécessiter de corrections pour les mutations retour. Voyons ce calcul pour les 4 premiers marqueurs ci-dessus. On commence par additionner les carrés des différences avec les trois autres groupes :
DYS426 - (0+1+0) + (0+1+0) + (1+1+1) + (0+0+1) = 6
DYS388 - (1+0+4) + (1+1+9) + (0+1+4) + (4+9+4) = 38
DYS392 - (0+1+1) + (0+1+1) + (1+1+4) + (1+1+4) = 16
DYS455 - (4+1+1) + (4+9+9) + (1+9+0) + (1+9+0) = 48
Ainsi de suite, pour chaque marqueur. La somme sur les 22 marqueurs fait 984. Il faut bien voir que dans la procédure ci-dessus chaque différence se trouve comptée 2 fois. On divise donc par 2 ce résultat. 984/2 = 492 .
492 / 22 / 16 / 0.00027 = 5177 ; où 22 est le nombre de marqueurs, 16 est le carré de 4, le nombre d'haplotypes concernés et 0.00027 est le taux de mutation moyen par marqueur. Le résultat est le nombre de génération « conditionnelle » pour des générations de 25 ans. Soit 5177 x 25 = 129000 ans
J'ai repris les calculs avec la méthode de base, les voici.
Les 4 sous groupes de l'haplogroupe A identifiés par le logiciel PHYLIP, voir ci dessus, ont respectivement 11, 14, 27 et 18 différences avec la base déduite pour l'haplogroupe A (aussi ci-dessus) , ce qui donne :
(11+14+27+18) / 4 / 0.006 * 1.61 = 4696 générations soit 117000 ans ; à 10% de la valeur publiée. 1.61 corrige pour les mutations reverses .
Ce facteur correctif s'obtient de la façon suivante :
On établit le nombre moyen de mutation par marqueur ; soit ici : 70 /4 / 22 = 0.795 , et le facteur correctif s'obtient par : (1+e^0.795) / 2 = 1.61
Je suis quand même étonné par la singularité du sous groupe 3 qui apparaît distant. Il y a 36 différences entre la base du sous groupe 2 et celle du sous groupe 3. Il y a aussi le problème du nombre d'haplotypes testés sur les 22 marqueurs : 1 seul du sous-groupe 4 !
J'ai voulu ne pas passer sous silence la méthodologie car l'approche par les haplotypes a été critiquée. Ma position est qu'il y a nécessairement une part d'approximation mais la méthode est saine et le résultat principal me paraît acquis. De quoi s'agit-il ?
En analysant 7756 haplotypes couvrant tous les grands haplogroupes, par rapport à la base A déduite comme décrit ci-dessus , Klyosov reconstruit l'arbre phylogénique Y.
La grande différence avec ce qui était « avant » est qu'il n'y a plus UNE sortie d'Afrique. Il y a un ancêtre alpha, bien plus ancien que décrit précédemment ; avec une scission entre d'une part l'haplogroupe A et les autres haplogroupes qui ont tous un ancêtre commun plus récent, entre 60000 et 70000 ans comme décrit précédemment pour l'arbre Y entier. C'est donc tout un pan de l'arbre qui se révèle. En gros, on a d'une part les San, ou Boshimans et leur langue à clics (ceux du film « les dieux sont tombés sur la tête ») et d'autre part tous les autres, dont de nombreux africains.
Klyosov insiste beaucoup (sans doute trop) sur le fait que l'origine géographique en Afrique n'est pas établie. La nature africaine de la branche San (haplogroupe A) n'est pas discutable mais l'ancêtre Beta pourraît correspondre à une sortie d'Afrique et donc la scission serait une différence géographique. Rien ne permet d'établir cela mais Klyosov tenait à critiquer « Out of Africa » dans sa formulation de base pour insister sur la nouveauté qu'apporte son arbre.
Je fais remarquer que l'arbre Y ainsi obtenu ressemble (enfin ! ) à l'arbre obtenu avec l'ADN mitochondrial en groupant L0 et L1 comme branche africaine et L3 correspondant à BETA. Une telle ressemblance est très satisfaisante d'un point de vue conceptuel. Reste qu'il semble que de nouveaux haplotypes A anciens aient été trouvés et cet article aura été le premier d'un travail de remise à plat de l'arbre et de ses fondements en Afique. Klyosov a raison quand il critique la base insuffisante sur laquelle l'origine africaine a été établie . Il est incroyable de constater le peu d'haplotypes de l'haplogroupe A disponibles. C'est un point faible de cet article mais aussi de tout ce qui a précédé.
A noter aussi que l'arbre déduit d'Helicobacter pylori trouve aussi cette spécificité des Sans et un arbre avec d'une part ces sans et d'autre part tous les autres groupes.
Il est tentant de voir dans l'ancêtre BETA une tentative ancienne de sortie d'Afrique. Il faut bien voir qu'entre 130000 ans et 80000 ans il y a eu un interglaciaire permettant à des hommes de s'implanter dans des zones plus septentrionales. Cette évolution hors d'Afrique aurait eu lieu entre 130000 et 70000 ans avec, au moment de la glaciation de Riss (- 70 000 ans), une grosse réduction de population, de telle sorte que tout se passe comme si un petit nombre de survivants « sortaient » d'Afrique , alors qu'ils en étaient sortis il y a longtemps. Reste qu'il y avait des compétiteurs, les hommes de Néandertal, et je ne pense pas que ce groupe BETA ait pu sortir de la péninsule arabique ; c'est à dire qu'ils ne sont pas allés loin de l'Afrique. Les 2 lignées mitochondriales M et N laissent la possibilité, dans ce contexte, de 2 zones refuge, l'une sur la côte pacifique et l'autre plus septentrionale.