Bos taurus c'est le bœuf domestique, qu'on distingue du Zébu – Bos indicus, alors que les deux sont tout à fait inter féconds, et qu'on distingue de l'auroch – Bos primigenius, ce dernier ayant totalement disparu au moyen âge. Les études de biologie moléculaire destinées à comparer les races actuelles ont commencées il y a longtemps et la précision a suivi celle des techniques disponibles. Cet article se propose de faire le point sur la compréhension que permet la combinaison d'approches par l'ADN mitochondrial, utilisant le séquençage total de l'ADN mitochondrial, les méthodes d'analyse par composant principal appliquées à plus de 200 000 SNPs autosomaux, et l'analyse du chromosome Y.
Le bœuf domestique est dérivé de l' Auroch mais les populations d'Auroch avaient des variantes locales, ce qui explique, par exemple, qu'un épisode de domestication en Inde ait abouti au Zébu. On connaît donc au moins deux cas de domestication indépendants mais essentiellement le bœuf que nous connaissons en Europe dérive d'une seule domestication avec, localement, des cas de croisements ultérieurs avec des Aurochs, ce que, justement les analyses de génétique essaient de débrouiller.
Les 3 articles sur lesquels s'appuie cet essai de synthèse sont :
« Insights into the Genetic History of French Cattle from Dense SNP data on 47 worldwide Breeds. » pour l'analyse autosomale ; avec un fous sur les races françaises.
« Origin and spread of Bos taurus. New clues from mitochondrial genomes belonging to haplogroup T1. » pour l'analyse mitochondrial sur 64 séquençages complets.
« Dual origins of Dairy Cattle Farming – Evidence from a comprehensive survey of European Y-Chromosomal variation. » pour l'analyse par les marqueurs du chromosome Y.
Comme pour les populations humaines c'est l'analyse mitochondriale qui pointe vers les origines les plus anciennes.
Le schéma du haut de l'arbre montre que les principaux haplogroupes sont proches les uns des autres :
Alors que T1 montre une grande profondeur avec 6 sous-groupes dont 3 très développés. Le sous-groupe T1a comprend pas moins de 28 branches dont certaines identifiées par 8 SNPs. Ce sous groupe comprend essentiellement des races européennes, mais aussi une race du Nil et le groupe T1 a été vu comme africain d'origine (presque tous les bœufs africains sont T1, ce qui n'est pas le cas dans d'autres régions comme l'Europe). Les auteurs pensent démontrer la non origine africaine du groupe T1 par le raisonnement suivant : on ne peut pas avoir une si grande variabilité en Afrique et si peu de variabilité « au dessus » de T1 dans l'arbre. Ce que les auteurs oublient c'est de bien identifier ce qu'ils considèrent comme « Auroch ». On peut voir l'ensemble des cas ci-dessus comme étant la variabilité originelle de l'ensemble Auroch et T1, un cas particulier Auroch. Les branches T1 commencent toutes par une seule mutation suggérant (les auteurs ont vu ce point) que ces 6 branches ont aussi fait partie du troupeau « Auroch » de départ, ou alors sont très proches de la sélection initiale. Concernant l'origine africaine de la domestication du bœuf on peut remarquer que la variabilité T1, sur la base du nombre de sous groupes, est plus grande en Afrique. On aurait donc une domestication, peut être en Egypte, de T1 avec diffusion de ce seul T1 à travers l'Afrique et croisement avec des aurochs (ou début de domestication) locaux lors de la diffusion dans les autres régions, dont l'Europe ; ce qui fait que la variabilité totale est plus grande hors Afrique. Concernant la datation, l'arbre T1 pointe vers 11OOO ans environ ce qui est assez différent des 8000 ans de l'archéologie. On peut envisager 2 stades. Un premier stade où, comme les Evènes aujourd'hui avec leurs Rennes, les populations suivent autant le « proto-bétail » que ceux-ci ne les suivent ; les bêtes sont surveillées mais il y a peu de sélection. Le second stade serait la vrai domestication avec des bêtes sélectionnées ; ce dernier stade serait récent (8000 ans) alors que la « proto-domestication » serait bien plus ancienne, ce qui rendrait bien compte des croisements « Aurochs » au cours des pérégrinations de cette période.
L'analyse par le chromosome Y, comme pour les populations humaines, cible une période en Europe bien plus récente comme l'ont bien vu les auteurs. Il y a 3 haplogroupes , Y1 , Y2, et Y3 (ce dernier pour le Zébu) et quelques marqueurs de type STR qui permettent d'appéhender la variabilité. Y2 est la forme « sauvage », correspondant à un croisement Auroch relativement récent alors que Y1 montre une certaine homogénéité. Reste à interpréter la carte :
Les auteurs notent (grace aux marqueurs STR) 2 effets fondateurs aboutissant à un groupe assez homogène pour Y1 d'une part et pour les Y2 « Alpins ». Les variétés « Y1 » étant des races laitières il est tentant de voir en Y1 la trace du peuplement rubané avec des migrations ultérieures, notament Vikings. Le pôle Alpin Y2 indique une souche croisée plus récemment avec un Auroch « européen » mais ensuite une forte sélection, pour des races orientées vers la production de viande et la traction animale (araire, chariots). Les auteurs semblent ignorer la frontière culturelle qui traversait la France : au nord traction Cheval (Ardennais etc...) et au sud traction par les Boeufs. La sélection viande correspond bien à la localisation alpages même si l'utilisation du lait (fromages) est aussi bien connue. On peut envisager le groupe Y2 alpin comme R1b-U152, avec sans doute une diffusion. Le cas des Y2 ibériques me semble différent et peut être relié à une tradition de « vaillants taureaux » (type courses de taureaux de Pampelune) impliquant sans doute de fréquents croisements« Auroch ».
L'analyse de 44700 SNPs autosomaux permet aux auteurs de, premièrement trouver que les différentes souches analysées se partagent nettement en 3 groupes : Europe, Inde et Afrique. Il y a donc 3 pôles de domestication. Ensuite, en se focalisant sur les souches françaises et quelques souches européennes, il a été possible d'identifier 4 sous-groupes :
Je ne pense pas, qu'il faille voir un partage entre une influence Danubienne et une influence plus Atlantique mais, avec beaucoup d'hésitations je penche plutôt pour une séparation plus fine que celle permise par Y1 et Y2 et sans doute encore un peu plus récente. On retrouverait un pôle Alpin, sans doute R1b-U152, pour tenter un lien avec les populations responsables de ces sélections, et par ailleurs un groupe sud-ouest, peut être « Basque » au sens large (« Aquitains ») ; bref, une partition qui reprendrait dans ses grandes lignes la partition de l'Europe à laquelle a abouti le développement R1b avec notament un pôle Alpin (U152) et un pôle Atlantique. Cette grille de lecture en rejette une autre (à laquelle j'avais pensé en premier) retrouvant les strates historiques du peuplement. Peut être qu'une analyse étendue à la péninsule ibérique, au nord de l'Italie (supposé « alpin ») et aux souches Belges et Hollandaises, au moins permetrait de mieux situer les groupements français mais, justement, si ça n'a pas été tenté c'est sans doute parce que la projection sur des axes n'était plus aussi nette. Là, il y a partition géographique et c'est la beauté de la chose, mais en prenant des races très différentes il devient difficile d'avoir des critères solides. 'est la limite de la méthode.
Pour conclure, il apparaît que les 3 approches permettent de mettre de l'ordre dans un processus qui n'a pas été linéaire. Il est clairement établi que la variabilité européenne résulte pour une bonne part de croisements avec des souches locales dérivées d'aurochs ou directement d'aurochs. Les processus récents de sélection et de croisement à l'échelle de l'Europe ont brouillé les pistes et on ne retrouve que quelques lignes directrices. Alors que l'analyse mitochondrial démontre que T1 en Europe signe sans doute une influence africaine (non surprenante), l'analyse autosomale permet une séparation de l'Afrique (en fait « Ouest Afrique »), de l'Europe et de l'Inde. La part de sélection locale (adaptation aux conditions locales) a donc prédominé. C'est, (encore une fois?!) l'analyse par le chromosome Y qui semble promettre la meilleure illustration historique. Y1 serait la marque des peuples Rubané et le début de l'utilisation laitière ; une origine en Anatolie et / ou une évolution dans les Balkans sont les premières pistes à suivre. Il est possible que R1b ait ajouté à la variabilité dans les Balkans avec de nouvelles souches Y2 et ensuite une diffusion de type « Campaniforme » (pôle Alpes et façade Atlantique).